brasse

je nage en direction de la berge mais le courant m’emporte
l’eau trouble se perd en tourbillons
je vois un rocher en aval et me laisse emmener vers
il s’agit de ne pas couler
ni de
suivre les sillons
la tête sous la ligne de flottaison
je pense à
toutes ses journées passées
les dorures m’ont plu
la tendresse
et ses restes
le scintillement du souffle
les peaux les mains les doigts accrochés
les autres possibilités
viens en moi si tu t’y sens bien
viens à côté
viens en
quelqu’un d’autre
peu m’importe
ce qui compte c’est d’aller de travers
la nage indienne
nous étions enfants
il disait
c’est ainsi que nageaient les indiens
nous avions à peine pied et quand déferlait une vague
il fallait fermer la bouche pour éviter la tasse
l’eau salée qui donne envie de vomir
je le croyais mais ne voyais pas l’intérêt de nager d’un seul bras
et de tourner en rond
je devrais essayer pour éviter ce tronc qui me fonce dessus
à toute vitesse
on ne peut lutter contre
la pluie les nuages
l’eau qui monte et lèche les rivages
la crue qui me caresse
les fesses le sexe
l’immensité des jours
l’enveloppe aqueuse
le nez dans la boue
qui entre dans la gorge et tous les trous
la berge est loin et s’éloigne encore
mes forces m’abandonnent à vouloir la rejoindre
je suis fatigué
je n’ai plus d’envie
ni de sève ni de souffle
je
ne peux plus
je fais la planche au milieu des canoës
pilotés par des familles en gilets de sauvetage orange
sous des casques multicolores
riant de suivre le courant
de provoquer des éclaboussures
tant pis si les coques me cognent
si les pagaies fendent l’eau et heurtent mon crâne
par inadvertance
tant pis si je m’enfonce et que personne ne le voit
si de vase argileuse mon corps se recouvre
je n’atteindrai jamais alors
ni le bord ni le centre
ni
la surface frémissante
ni reverrai hélas
le vif ruissellement
des cascades en amont