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nous pouvons nous y faire
parfois faire semblant
apparaître
satisfaire les âmes autour
prendre l’espace aller au cœur
mais quoi que nous fassions
à l’intérieur il y a le sang
nous pouvons recouper
les lignes les lier
les faire défiler
les lacer aux poignets
les lacer aux chevilles
tenter de s’en défaire
mais à l’intérieur il y a
l’enchevêtrement des nerfs
des tissus
des cellules qui s’épandent
des échafaudages
et parcourir les forêts
la neige les flocons le blanc
sur les près les nuages évidés
pouvoir imaginer
s’enterrer s’envoler
disparaître
mais à l’intérieur il y a
des organes qui pulsent
à l’intérieur il y a
le sang et ses flux
qui toujours nous empêchent
qui toujours nous emmènent




L’écorce

nicher au cœur de l’étang un océan avec sa houle, ses barrières de coraux, ses fonds abyssaux
nous trouverons l’espace qu’il faut
le clapotement des vagues sur la rive
un jardin de roseaux
l’épave d’un navire antique
des narvals au milieu des fleurs de lotus se pourchassent
la marée soulève l’eau de la rivière, la crue affole les canards, caresse un phare centenaire
cherchons encore
nous pouvons nous y retrouver
loin des fonts baptismaux
plus profond en son sein
pour réessayer de naître
un gémissement
une respiration
des chuchotis
des bruissements
un cyclone enveloppé de brises
couche sur couche
une taie de vent, mille kilomètres heure environ
des rafales fiévreuses
le tumulte et l’effleurement
faut-il choisir ou se glisser
la tornade qui emporte les cétacés, les navires amarrés, les embarcadères
soyons alors des éléphants de mer
avachis sur des atolls

se déchirer, se remplir
s’isoler
mammifère
se frotter à la coupure

emmène-moi maintenant
toute la savane au centre du champ
toute la toundra sous la jachère
allons les traverser sous un filet de pluie
un orage en la bruine mêlée se déverse sur nos étendues charnières
choisissons l’humidité
la percussion des gouttes, les explosions, les pleurs
aimons les écarts et les barricades
le mouvement à l’intérieur du mouvement
les spirales et la rotation
sous les côtes en nos torses la foule des grands évènements, les foires à bestiaux
les stades remplis
ça grouille, se multiplie, étouffe et se renouvelle
nous sommes la vie
nous sommes en vie
se développent en nous toutes les galaxies
le big bang et notre extinction
la lactescence des planètes
les deuils que la bourrasque efface
des cercueils dont le bois s’émiette
des racines noueuses qui se nourrissent des cendres
des feuilles vertes, roses, orange ou rouges
des bourgeons
le noyau
et repartir à la découverte




nous voulons bâtir
premier étage
deuxième étage
troisième étage
nous voulons détruire
troisième étage
deuxième étage
premier étage
par les gravats revenir
sous les graviers se
sous
creuser la terre
par les crevasses en faire des souterrains
se souvenir
sous les songes enfouis
se
sous
face à l’effroi
nous construirons des tunnels
nous érigerons des ponts
première rivière
deuxième rivière
et les dynamiterons
puis sur la plage de galets par l’érosion repartir
nous construirons des villages
nous nous réunirons
formerons des attroupements
percerons les murs
étalerons des terrasses
une table des chaises et s’asseoir
regarder l’effroi
en faire le cœur
des escaliers et des caves et des murs porteurs
regarder l’effroi et le figer dans la pierre
en couler du béton
le couvrir d’un toit aux tuiles d’ardoise
sous le
se
et tout détruire
nous laisserons gagner les champs
l’herbe qui prolifère et recouvre les cimetières
et enterre la mort
sous une forêt
d’arbres alignés
nous serons au milieu
par les clairières disséminés et ensemble
et nous serons
se
sous le
nous serons
entourés de papillons aux ailes d’albâtre
nous serons
nous




brasse

je nage en direction de la berge mais le courant m’emporte
l’eau trouble se perd en tourbillons
je vois un rocher en aval et me laisse emmener vers
il s’agit de ne pas couler
ni de
suivre les sillons
la tête sous la ligne de flottaison
je pense à
toutes ses journées passées
les dorures m’ont plu
la tendresse
et ses restes
le scintillement du souffle
les peaux les mains les doigts accrochés
les autres possibilités
viens en moi si tu t’y sens bien
viens à côté
viens en
quelqu’un d’autre
peu m’importe
ce qui compte c’est d’aller de travers
la nage indienne
nous étions enfants
il disait
c’est ainsi que nageaient les indiens
nous avions à peine pied et quand déferlait une vague
il fallait fermer la bouche pour éviter la tasse
l’eau salée qui donne envie de vomir
je le croyais mais ne voyais pas l’intérêt de nager d’un seul bras
et de tourner en rond
je devrais essayer pour éviter ce tronc qui me fonce dessus
à toute vitesse
on ne peut lutter contre
la pluie les nuages
l’eau qui monte et lèche les rivages
la crue qui me caresse
les fesses le sexe
l’immensité des jours
l’enveloppe aqueuse
le nez dans la boue
qui entre dans la gorge et tous les trous
la berge est loin et s’éloigne encore
mes forces m’abandonnent à vouloir la rejoindre
je suis fatigué
je n’ai plus d’envie
ni de sève ni de souffle
je
ne peux plus
je fais la planche au milieu des canoës
pilotés par des familles en gilets de sauvetage orange
sous des casques multicolores
riant de suivre le courant
de provoquer des éclaboussures
tant pis si les coques me cognent
si les pagaies fendent l’eau et heurtent mon crâne
par inadvertance
tant pis si je m’enfonce et que personne ne le voit
si de vase argileuse mon corps se recouvre
je n’atteindrai jamais alors
ni le bord ni le centre
ni
la surface frémissante
ni reverrai hélas
le vif ruissellement
des cascades en amont




Tu ne connais rien à la topographie

Tous les corps sont des impasses dis-tu. Tu es sur le dos tu te retournes pour écraser ta cigarette dans le cendrier bientôt rempli. Puis du bout des doigt tu suis les veines apparentes sur mon bras tu continues sur les ramifications bleutées de ma main.
Ne vois-tu pas que nous sommes la ville traversée d’une rivière.
Nous sommes le skatepark la zone commerciale cette rue excentrée aux boutiques fermées. Fermées depuis longtemps vitrines grises de poussière affichettes à vendre. Nous frôlons en rase-motte des abribus aux vitres brisées nous survolons de larges avenues une place de la mairie creusée d’une fontaine où flottent des mégots.
Tu dis il ne restera rien. La baise les échanges on essaie d’y croire. Quoi d’autre. Il ne restera rien seuls nos corps offerts au feu ou aux vers. Il ne restera que. On a beau faire on a beau chercher la rencontre le tumulte l’orgasme. On a beau.
Nos chairs se déversent empruntent des porches qui sentent la pisse un parc entouré de grillages des bosquets fleuris des joggers une pelouse brûlée par le soleil un marchand de glaces des toboggans. Nous tournons sur le périph dont toutes les sorties convergent vers le centre où se mêle un amas de bars aux terrasses similaires. Tu voudrais des chemins forestiers tu voudrais grimper sur une colline alors que la nuit tombe. Prendre le large. Sont-elles si différentes les mers du sud les forêts tropicales les steppes à la con la banquise les rues tokyoïtes aux enseignes lumineuses les chutes du. On a beau faire.
Tu enfonces tes ongles en ma peau tu traces des routes un chemin de fer une carte différents itinéraires sur mon dos mes jambes tu me contournes et continues ton voyage sur mon ventre. Tu voudrais dessiner un plan lacéré de chicanes de bifurcations.
Tu dis que tu aimerais me voir saigner laisser ton empreinte. Me déchirer voir s’il y a entre les organes des soubassements des tunnels des dédales inconnus.
Tu dis qu’il y a des gens allongés autour de nous sur le côté en position fœtale ou les bras en croix le sexe au repos ou tendus ouverts alanguis mouillés. Ne vois-tu pas qu’ils peuplent en fantôme nos alentours. Ils se relient en une partouze survolant la communauté urbaine. Ils forment une métropole. Tu reconnais les contours les reliefs. Ils sont notre passé ils sont notre futur. Tous ces orifices visités tu peux aller plus profond si tu veux voir ce qu’il y a au cœur centre piéton voir ce qu’il en est du partage moléculaire de capillaires à capillaires. Les ruelles. Les venelles. S’échapper en eux en elles. On a beau faire. La peau est mirador navire de guerre. La peau est.
Mais ne penses-tu pas qu’il faut essayer encore.
Aller où ça s’entrechoque.
Courir ventre à terre.
Creuser des tranchées.
Sur ta fesse apparaît comme une ombre un ciel de traîne puis des nuages noirs se meuvent sur ton échine qui se tord alors que tu m’enlaces. Ça bourgeonne et gronde de tes pieds à ta nuque les canines affûtées des herses. Tu vois il te reste du désir. Tu bascules sur moi de tout ton poids.
Nous serons l’averse qui videra la ville provoquera des crues emportera passants et véhicules. Nous sommes la tempête qui fera s’écrouler les digues ta main sur ma cuisse monte les palissades ornées de meurtrière ta main sur mon cul je te laisse faire se forment des débords des remblais des stores déchirées un camion de pompier des canalisations éventrées tu prends ma main et la mène sur ton cou tu me demandes de serrer. Des caves submergées étouffées. Tu souris. Tu prends ma main et la pose sur ton pubis. S’inondent les carrefours la ville est fleuve maintenant les maisons deviennent éboulements des falaises érodées. Puis ta main sur mon. Ma bouche sur ton.
Et on oublie un moment les impasses la fin du parcours.
L’eau recouvre tout attire des oiseaux bigarrés des loutres des chaloupes où l’on peut s’étendre et se prélasser renaissent des îles des monts herbeux des prés non clôturés pas encore les panneaux chien méchant propriété privé interdit de traverser pas encore les gares abandonnées. Des échassiers s’élancent au-dessus des nénuphars.
Tes lèvres luisent tes yeux s’ouvrent tu vois une route qui va vers.




À couvert

Ici fait nuit, ici sent la poussière, ici je me cache alors que mon corps nu s’ankylose d’un courant d’air froid venant d’une fenêtre mal isolée. Je ne bouge pas, je ne veux pas qu’une écharde s’échappant du parquet m’écorche, se plante dans ma fesse gauche ou ailleurs et soit compliquée à enlever dans cet espace réduit où je me suis confiné.
Un roulement de tambour, pas loin circule un train, ça fait vibrer le bois comme une chevauchée, le bruit des sabots, des fers fracassant le sol, l’aboiement des chiens en meute, la traversée des fougères, des arbustes arrachés par les pattes par les branches fouettées, je me resserre, mon torse se comprime, ma peau de plus en plus épaisse m’empêche de respirer. Pourtant personne ne chasse en cet endroit, on ne peut ainsi investir les maisons, je suis protégé, là autour des murs, des portes fermées, verrouillées. Une odeur de champignon, d’herbe humide, de sentier forestier, je voudrais m’enraciner, que mon corps se camoufle, s’enfeuille et disparaisse.
Si seulement je savais de quoi je me cache.
Au-dessus, quelque centimètres, les lattes du sommier grincent, les lattes perdent leur courbure, c’est elle qui se retourne le sommeil perturbé par le bruit du train ou par mon absence à ses côtés, ce vide à ma place dans le lit. Si elle se réveille, s’étonnera-t-elle de ma fuite, viendra-t-elle me chercher.
J’entends un brame dans le lointain.
Je me souviens des cabanes brinquebalantes où je pouvais m’isoler du monde, être sous la coupe de personne, loin des yeux, des remontrances, des attentes.
Je me souviens des ballades, la peur de me perdre, la campagne douce de vert et d’orange qui devient hostile lorsque la nuit tombe et que les couleurs se diluent, que les arbres se fondent les uns les autres en une masse grise, c’est quoi ce bruit, ce craquement, quel animal sauvage dont je troublerais la quiétude, quel animal féroce et fantastique pourrait surgir du noir, pur et coupant sous la canopée, pour me dévorer. Des plantes m’attrapaient les chevilles comme des mâchoires, je baissais la tête, accélérais le pas, pressé de rentrer. Ne regarde pas derrière toi, ne provoque pas les monstres qui sont à tes trousses, ne cours pas non plus, ça ne ferait que les exciter.
Ne bouge pas.
Reste droit, les bras tendus le long du corps, une ligne, sois une planche sur le parquet, ouvre les yeux.
Elle s’agite, je la devine tâtonnant, la paume sur le drap, pour me chercher mais peut-être est-ce seulement ce que j’espère. Elle se redresse puis elle soulève le matelas en son coin gauche, celui qui touche le mur. Elle allume la lampe accrochée aux montants, ça m’éblouit, un scintillement de paillettes au centre duquel son visage apparaît, un cercle noir en contre-jour. Elle est au-dessus et je suis entravé, comme encagé sous les lattes, elle peut faire ce qu’elle veut de moi, je ne peux pas me défendre.
Elle soupire plusieurs fois, grimace puis me demande ce que je fous là, allongé sous le lit, elle me demande si je suis sûr que le parquet est confortable pour dormir, elle me dit de ne pas me plaindre si j’ai mal au dos demain.
Je lui dis que je suis caché. Elle se renfrogne. Elle me demande, tu te caches de moi, d’une voix qui me reproche.
Alors je dis
c’est juste que. C’est juste que j’ai souvent envie de m’enfouir dans un terrier, dans une haie, ce plaisir quand on jouait à cache-cache enfant, tu te tiens immobile sous les branches d’un résineux, un épicéa peut-être, tu es accroupi derrière un taillis embroussaillé, tu penses être bien planqué, le pouvoir de devenir invisible te donne de la force. La joie de ne pas être découvert, hors du monde, enfin. Tes pieds s’engourdissent, tu attends, tu attends trop longtemps et si jamais les autres ne te trouvent pas et si jamais on t’oublie, t’abandonne, si jamais ils se lassent de te chercher et s’en retournent sans toi. Une angoisse s’insinue dans ton ventre, le lichen va finir par se déposer sur tes jambes alors tu fais trembler les branches mais tu sais que c’est tricher. Tu ne veux pas qu’on te trouve, tu veux qu’on te trouve, et puis quelqu’un te voit et tu ressens un soulagement qui ne dure pas longtemps, te trouve-t-on vraiment, pourquoi ressens-tu alors une frustration.
Cette question là me fige, où que j’aille je me demande où me cacher, comment m’enfuir. Il y a tant de façon de disparaître, tu es là, tu n’es pas là. Tu veux qu’on te trouve, tu ne veux pas qu’on te trouve. On peut s’enfouir en soi, j’ai appris ça en vieillissant. J’aimerais que tu vois que cette peau que je dévoile n’est pas moi, je l’ai construite, tissée, année après année, cousue à la main depuis l’enfance pour qu’elle me protège et pourtant, elle ne me protège toujours pas. Tout traverse. Je me coupe sans cesse. Tu as peur que ta peau s’écorce et tu suffoques, ne faudrait-il pas mieux changer de peau régulièrement, enlever l’ancienne puis en mettre une neuve, mais sauras-tu alors me reconnaître. Je suis là, terré, enterré, tu ne sauras pas me démasquer, tu pensais y arriver, tu pensais t’approcher, raté, mon enveloppe est lisse, interchangeable, je ne te montre rien.
Mais je me suis perdu.
Dans le lit à tes côtés, là, tout est revenu en un flot, la peur que je ne sois pas celui que tu veux, que la peau que j’ai enfilée pour te plaire se dissolve et que tu vois la boue en dessous, les moisissures noirâtres, la merde.
Elle m’observe, maintenant ses traits se distinguent nettement, ses yeux cernés.
Elle repose le coin plié du matelas, elle éteint la lumière, je ne la vois plus, la voilà disparue, là est plus sombre de nouveau, là se fissure. Elle ne vient pas me chercher. Je l’imagine immobile, allongée sur le dos et sa voix me parvient mousseuse, étouffée, comme venant d’une autre pièce, est-ce vraiment elle qui parle, ne s’est-elle pas endormie, lasse de mes phobies, de mes toc, des mes angoisses, ou est-ce moi qui m’endors. Cette voix me dit
tu te crois seul. Tu te crois seul à être effrayé, elle me dit, moi aussi, je me souviens des peurs de quand j’étais enfant, et encore aujourd’hui il existe de nombreux espaces que je n’ose visiter. Je m’enfonçais dans mon lit le soir, la couette remontée sous les yeux et chaque ombre, chaque porte entrouverte me semblait receler des dangers de toutes sortes. J’imaginais une araignée sortir du placard avec toute sa famille et venir pondre dans ma bouche et que j’allais me réveiller les lèvres scellées d’une toile dense, les membres liés par des filaments blancs et luminescents et l’araignée arrivait, je vois encore aujourd’hui comme si je les avais vues les énormes pattes velues de la tarentule que je fantasmais, des cris s’en venaient mais je restais aphone, je ne voulais pas réveiller ma famille. J’imaginais des monstres aussi. J’imaginais un être, mi-homme, mi-bête, allongé sous mon lit comme une statue, tellement immobile que je ne pouvais le voir en soulevant le matelas et je devais tendre la main, toucher le sol, pour être sûre qu’il n’y ait personne et même ainsi, je m’endormais inquiète, j’avais peur que ses griffes transpercent le lit en pleine nuit. Je me devais d’être en alerte et depuis je suis toujours sur mes gardes. Tu sais, les peurs de l’enfance sont inscrites sur la peau, on essaie juste de faire avec. Maintenant, tu choisis, tu peux rester où tu es si tu juges l’endroit agréable, tu peux aussi me rejoindre dans le lit, mais moi j’aimerais dormir, je manque de sommeil.
La voix se tait, s’éteint. Un léger ronflement la remplace.
Mon corps se glace, le bois se fait béton, ma cache m’enserre. J’ai peut-être tort, je me suis toujours vu gibier, faisan lâché face aux fusils mais peut-être sous ma peau se trouve une tout autre pelure, est-ce cela qui me gratte, les poils qui poussent de l’intérieur, en creux. Ma mâchoire est prête à s’élargir. Ici se chamboule, ici s’inverse, j’ai toujours voulu fuir le danger et ses crocs acérés et cette nuit, ce serait moi le monstre sous le lit.
Je m’extrais de ma cache tremblant et frigorifié. Je me faufile sous la couette. Ici le tissu se révèle chaud, je le laisse, et par là une part du monde, m’entourer.